Nouveau mode de vie
On nous avertit du choc culturel et des défis qui nous attendent. On nous informe, on nous forme (très bien d’ailleurs) mais on ne nous dit jamais que le Nord est un mode de vie. Ce n’est pas un travail comme un autre. C’est littéralement un mode de vie. Je ne connais personne qui se donne le droit de vivre comme les infirmières du Nord. La norme est comme nous la connaissons tous : 16h à minuit, une fin de semaine sur 2, les TSO, 4 semaines de vacances par année, 12 ans d’ancienneté avant de pouvoir finalement vivre de jour.
Mais la norme est anormale. Elle est incroyablement exigeante et épuisante. On ne le sait pas. On y est habitué malencontreusement emporté par le courant d’une routine dépourvue de temps. Pas le temps de s’arrêter, pas le temps de prendre le temps, pas le temps de vivre le temps. Ce que le Nord m’a apporté c’est plus de temps.
Nouvelle réalité
Je suis en congé pour une semaine et la liste de rappel ne me demandera pas de rentrer. Je ne suis pas dégouté par ma profession je me demande plutôt quelle sera ma prochaine destination que ce soit au Nord ou dans le monde. Je me questionne sur mon petit bonhomme en soins palliatifs pédiatriques qui m’attend au Nord avec qui j’essaie d’établir un contact tout en respectant sa culture. Je me remets en question, je veux me dépasser le temps d’un contrat ou même deux parce qu’on a le choix de revenir dans les communautés qu’on affectionne.
Nouveau rôle
Au Nord on fait tout. Nous sommes inhalothérapeutes, travailleuses sociales, physiothérapeutes, psychologues et j’en passe. Je pensais que faire des points de suture était le summum des soins infirmiers. Je pensais qu’être infirmière en rôle élargi était un autre accomplissement à mettre sur mon CV que je voulais garnir. Je me suis fait prendre à mon propre jeu. Je suis maintenant prisonnière de ce mode de vie: 12 semaines de vacances par année, une ouverture d’esprit, un esprit critique, de la reconnaissance et un développement de ma profession illimité. Je ne suis pas parti au Nord pour l’argent mais je ne connaissais pas non plus cette liberté financière.
Découverte d’une culture
J’appréhende le jour où je vais revenir à cette routine anormale; le rire de la nation revendicatrice Crie va me manquer. La force des Inuits a marqué au fer rouge ma conscience sociale. J’aime dénoncer qu’ils n’ont pas d’eau courante, pas de téléphone, pas d’Internet, pas de cellulaire, qu’ils vivent plus de 10 par maison et ce au Québec, où moi, la petite de 26 ans se demande où elle va partir pour ses prochaines vacances… Ça te replace une perspective! Bref, le Nord est beaucoup plus intriguant et fascinant que ce qu’on peut s’imaginer.
Il y a des aurores boréales qui dansent au-dessus de votre tête les soirs de garde où il faut marcher jusqu’à la clinique à -42 en novembre. Il y a des gardes où on pleure et où on manque de patience par manque de sommeil. Il y a des marches où l’on découvre le paysage et les gens avec qui on cohabite. Il y a des soupers, des brunchs, des potlocs, des soirées bingo, des chiens (mon dieu qu’il y a des chiens) des entraînements au gym, des amitiés qu’on n’oubliera jamais. Il y a des moments seuls, très seuls où on se demande « Qu’est-ce qui m’a pris ? » parce qu’on est toujours loin des gens qu’on aime.
Réalisation de soi
On se souvient qu’au Nord on fait partie du changement comme une amie m’a déjà dit. Je fais partie du changement mais au final c’est plutôt moi qui change. Je m’affirme de plus en plus, je m’adapte de mieux en mieux. J’acquière une expérience inoubliable. J’ai envie de dire aux infirmières de se laisser prendre au piège.
Pénélope Penrroz, infirmière chez Solutions Nursing